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Roxana Páez

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Fogata de ramitas y huesos
Des Brindilles a sa flambée




Édition bilingue
Poèmes traduits par Geneviève Huttin et l’auteure

ROXANA PAEZ, écrivaine, poète et traductrice argentine, est l’auteure de nombreux essais parmi lesquels Poéticas del espacio argentino (2011), Manuel Puig et Del pop a la extrañeza (1995), ainsi que des livres de poésie en espagnol comme Gran distracción animada (1994), Las vegas del porvenir (1995), La indecisión (1999), Fogata de ramitas y huesos (2002) Prix Juan L. Ortiz, Madre Ciruelo (2007) et Serie de banda rumorosa (2011). Elle a publié en français, chez Fidel Anthèlme X, Marseille, Lettera rarissima (anthologie bilingue, 2007) et Le journal de la china. Là où le diablo a perdu son poncho et le renard et le lièvre se disent bonne nuit (2012). Ses poèmes en espagnol ont été traduits en anglais, français, portugais et allemand. ROXANA PAEZ a reçu, parmi d’autres distinctions, les prix nationaux argentins Enrique Pezzoni et La Piedra movediza, ainsi que le prix international Juan L. Ortiz.

GENEVIÈVE HUTTIN, écrivaine, poète et traductrice française, est productrice à France Culture. Elle a publié chez Farrago L’histoire de ma voix, poèmes (2004) et Cavalier qui penche, récit avec des dessins de Christelle Rousseau (2009), aux éditions Préau des collines.




Traduire Roxana Paez

Un ami poète, Arturo Carrera  nous a mis en relation et j’ai rencontré Roxana Paez à Paris en 1998. Puis elle a dit ses poèmes lors d’une soirée des Écrivains de la Sortie, à la Maison d’Argentine, à la Cité universitaire et je lui ai dit « traduire… ».

Nous avons commencé à nous traduire mutuellement au rythme d’un rendez-vous par semaine, pendant un an environ, au café Le Smoke, rue Delambre , à cause du film de Paul Auster et parce que le livre parlait de la fumée.

À la fin de ce travail, j’avais un doute quand à la traduction du  titre, « Feu de brindilles et d’os » me semblait plus faible que l’original, fogata étant féminin, et tournoyant, fogata imitant pour moi de façon onomatopéique le mouvement et la propagation du feu, le coté animal du feu, sa vie.

Je ressentais aussi le coté « naissance » ou renaissance à soi-même comme poète indiqué par cette mise au féminin du feu, ou « mise à feu » au féminin, voire féminisation du  pouvoir transformateur du « feu ». La femme voleuse de feu. La prédiction de Rimbaud. Tout cela se passait aux limites de ma conscience lisante, tout simplement j’aimais les allusions à la cigarette, à la « fumeuse », sorte de personnage, et double de l’auteure. Je sentais confusément que l’écriture et la cigarette étaient devenues homologues, se laissant prendre l’une pour l’autre, et la nouveauté de cette métaphore, c’était — nul n’y semblait avoir songé avant — d’en faire un thème de recueil, de variations, et donc de susciter des images et ce discours neuf que l’écriture comme la cigarette prennent un rêve ou une pensée, et comme la matière en combustion à l'intérieur de la cigarette, aspirent, agencent la « perte », ou le flux de pensée, et les tournent vers le futur.

Et puis un jour, Roxana Paez est arrivée en me parlant des Baroques et de leurs libertés avec la langue et elle m’a proposé « des brindilles à sa flambée », elle a inventé une tournure qui évoquait à la fois un très vieux passé (les rites propitiatoires des Anciens) et par le jeu de la mystérieuse attribution « à sa », quelque chose qui parlait aussi à l’oreille et à l’esprit en français d’une manière inconnue. Et si le terme « os » ne figurait plus, le titre à mon avis, de par les rites évoqués, lui restait fidèle. Le titre devenait une petite énigme. Qui, quoi brûle ? et dans quelle intention ?

Et je me suis sentie dans le droit fil de mon enthousiasme pour le livre et pour son auteure.

Dans « Fogata de ramitas y huesos », on a trois termes qui font tous les trois référence à une absence de corps ou à sa réduction, après une opération dont l’agent est réellement le feu.

En même temps dans « des brindilles à sa flambée » on a gagné en abstraction, et aussi développé l’énigme du titre, par une double ellipse du sujet et de l’objet.

Car le plus beau dans cette invention est le « à sa ».

Mouvement vers, déplacement qu’on trouve aussi dans des locutions françaises telles que mise à feu, porter de l’eau au moulin, et même des fagots au bûcher.

L’« à sa », est ici aussi bien pronom possessif que pronom personnel.

Alors quoi ? Qui ? Flambe ici.

Quel sujet, quel objet ? qui se trouve à la fois figuré, dans le titre et élidé. C‘est peut-être le nom propre, c’est ce qui de l’auteure part dans la fumée, au fond c’est un peu d’elle-même qui s’échappe, son souffle, sa Voix. Dans l’instant, l’allumage et le rite de la cigarette, par exemple. La Chose et le Signe de la Chose, tout flambe ici pour aller au poème.

C’est donc comme un double de l’auteure elle-même, fugitive à elle-même, la fumée, devenant comme l’équivalent du poème, lequel résulte d’un sacrifice, d’un temps perdu. Par contamination des images et des signes, c’est la fumée image de la Voix, la partie pour le tout, qui est l’objet élidé, objet transparent mais réel dans le réel et dans le titre.

Il ya quelques temps, le gouvernement de ce pays a brûlé au Gabon 400 tonnes de défenses d’ivoire d’éléphant, pour dire non aux chasseurs, à un commerce meurtrier devenu illégal. Il ya un sacrifice, il y a un acte de brûler une valeur monétaire, qui permet de retrouver le vrai sens.

Il y a un sacrifice de temps et de matière, griller la cigarette, écrire, pour gagner quelque chose, transformer ce qui passe en matière précieuse, en trace, en lettres, en signes du futur, comme on retrouve de petits corps écrasés d’insectes entre les pages d’un livre. 

Et cela est le poème, le poème comme reste  : car quoiqu’il arrive dans la vie, « il n’y a pas un temps brûlé », aucun n’est ni n’a été ni ne sera inutile, ni n’est a priori infécond. Y compris celui qui part dans la fumée et le repos, les instants de vide qu’on s’accorde à soi même, « pour rien » pour le plaisir, menus « sacrifices » au regard de l’utilité, en apparence car de ces sacrifices, de ces rites, surgissent en réalité les pensées, les formules philosophiques, et les premiers vers.

Et c’est là que je me mets à entendre quelque chose de la voix que peut-être je n’entendais pas dans ma propre langue. En effet la voix c’est à la fois du corps et de son absence. Avec la voix c’est l’ambiguïté la plus profonde qui se joue.

La voix c’est le fond même du monde, le fond sonore, la rumeur, c’est le fond de l’Océan, c’est Ulysse et le chant des sirènes qui étaient en fait les baleines.

Et c’est le contraire, la voix n’est que souffle, air, esprit, ondes. C’est la Chose et c’est le Signe.

On dit « cordes vocales », mais corda ne veut pas dire cordes. Corda en latin veut dire entrailles : intestin, poumons, foie et cœur. Ce que les Anciens brûlaient dans les sacrifices c’étaient des entrailles d’animaux, les « auspices ». Et on dit Sursum Corda, élevons nos cœurs mais on devrait dire élevons nos entrailles !

Alors avec le livre de Roxana Paez, Des brindilles à sa flambée, nous sommes dans le registre du deuil et dans le génie des langues. Par exemple je découvre par le hasard, qu’en Allemand sprachen, parler, viendrait de spruchen, craquer l’étincelle.

La parole est du feu dans l’étymologie, elle prend la chose et la donne à un autre état.

Roxana Paez a écrit un livre du deuil et de la fumée où l’Argentine, les espaces déposés dans la mémoire, reviennent dans sa voix intimiste, et toutes choses perdues et ou arrivées, venues et parties, se font voix, parole à soi-même confiée à la langue, au secret des langues, « journal secret ».

Moments de passage et de naissance à soi : retour de cendres d’un père au moment de la dispersion qui évoque la semence et la suite des générations, le voyage sur la terre, attire d’autres rites, le rite argentin de la grillade, le ciel et les étoiles de l’hémisphère sud, un fils qui commence à lire pour lui même, et quittant l’enfance avec la lecture à voix haute, passe à la lecture silencieuse, appareille vers le grand dehors, part dans l’ouvert.

Geneviève Huttin
Juin 2012





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